El Chaltén.

Mockup - Photographie (El Chaltén, Argentine)

La tension est presque toujours palpable. Mais là c’est outre mesure. Je rabats mon capuchon, prends la direction de mon auberge, et me demande ce que je fais ici…

 
 
 

18 Avril 2017

Arriver de nuit. Tout semble désert, pris dans une obscurité profonde. La gare routière est vide. Dehors, le vent souffle un air glacial chargé de sable à travers de larges avenues vides; l’accueil est déprimant. Le seul ATM* de la ville ne fonctionne pas; il est vide. Un compagnon de voyage sent une vague sueur froide lui couler dans le dos: il n’a pas d’argent sur lui.

Arriver dans une nouvelle ville n’est jamais agréable. La tension est presque toujours palpable. Pas de repères sur lesquels s’appuyer, l’appréhension de ce qui nous attend. Mais là c’est particulier. Je rabats mon capuchon, prends la direction de mon auberge, et me demande ce que je fais ici…

Une ville de pionniers, fondée il y a moins de trente ans…

El Chaltén. Ses rues trop grandes et désertes, ses hôtels déjà fermés pour la saison, son vent omniprésent. Ce vent hostile à la vie. Ses chiens errants, ses chantiers au milieu de la ville. Une ville de pionniers, fondée il y a moins de trente ans, en 1985, par un décret ordonnant sa création; afin de promouvoir la colonisation dans la région, et ainsi assurer la présence argentine sur ces territoires en conflit avec le Chili.

El Chaltén. Une ville plus jeune que moi. Je regarde tous ces gens de mon âge, dont pas un seul n’est né ici. Cette ville qui commence à peine à se construire une identité. Et ces histoires impressionnantes de gens ayant tout quitté pour venir s’installer ici, au milieu de nulle part, parti de rien. Mon hôte, parti de Buenos Aires avec un camion chargé de bois, qui lâchera quelques kilomètres avant d’arriver à destination. Puis ses premiers mois, à vivre sous tente, dans le froid et la neige, et ses premières années à vivre dans cette cabane simple construite par ses mains. Des histoires d’hommes, face à la rudesse de la vie, si proches et qui paraissent pourtant surgies d’un autre âge. Sensation étrange, décalage.

El Chaltén, Argentine

 
 

19 Avril 2017

Randonnée au Fitz Roy. Le temps est froid, le vent toujours aussi violent; la Patagonie! 
Arrivé au pied du Fitz Roy, le dernier kilomètre d’ascension nous prendra une heure. Et, arrivés au sommet, nous ne verrons rien: le sommet est couvert. Nous nous abritons sous les roches, tentant de gagner quelques minutes à ce vent d’une violence extrême, mais impossible de tenir plus de dix minutes; nous redescendons, fatigués. Plus tard, quelques bières et de bons morceaux de viande argentins nous remonteront le moral. 

 

Cerro Fitz Roy – El Chaltén, Argentine

Cerro Torre – El Chaltén, Argentine

 
 
 

21 Avril 2017

Aujourd'hui, il fait grand beau. Le Fitz Roy domine la ville dans le soleil du matin. Partir en direction de la Laguna Torre. En chemin, admirer au loin des condors. Paysage magnifique, incisif, mélange de rouge automnal et de neige blanche. Arriver à la lagune, et pousser plus haut, jusqu’à la neige. Seul. Je fais face à un vent de folie, je peine à tenir debout! Puis revenir, et vu le temps toujours clément, rejoindre un deuxième parcours et finalement voir le Fitz Roy dans toute sa splendeur!

Le lendemain, se balader, attendre mon bus de nuit pour le nord. À la gare routière, un couple discute au guichet: vont-ils prendre une place devant la télévision? La discussion continue. Patienter dans la file d’attente plus de 15 minutes. Certains touristes s’impatientent et tapent du pied. Oui, mais ici l’important n’est pas l’efficacité. Ou devrais-je dire: elle n’est pas au même endroit. C’est l’échange l’important ici: le moment partagé. On parlera sans gène, on prendra le temps. Et finalement, le jour d’après, dans le bus, les écrans resteront éteints. 

Je prendrais la dernière place restante. La saison touche à sa fin, les transports sont désormais limités. Plusieurs autres devront rester en ville encore quelques jours. Pour moi, la RN40 m’attend de nouveau…

 
 

23 Avril 2017

Le bus. À nouveau. Les kilomètres de bitume s’écoulent sous les pneus, sur cette route définitivement droite. Tout semble immobile. Pas un bruit dans le bus, ce ciel immensément grand, et ce paysage immuable. On repère les voyageurs expérimentés: ils bougent peu, leurs gestes sont précis, ils sont organisés. Alors que tout le monde redoute ces longues heures de voyages, je les attends avec impatience. Enfin l’occasion d’écrire, de digérer ces moments intenses. 

 
Les kilomètres de bitume s’écoulent sous les pneus…
 
 

Se sentir chaque jour émerveillé, reconnaissant. Se sentir comblé, heureux et serein. À sa place dans l’histoire de l’univers. Toucher les étoiles. Je ne pensais pas ainsi; ni aussi rapidement. Je vais essayer de les garder près de moi, le plus longtemps possible! 

Cette route décidément dédiée aux grandes étendues; ces montagnes sauvages, ce vent omniprésent que l’on retrouve à tout moment, comme un compagnon de voyage, qui vous accompagne par intermittence. Ces glaciers, immenses et majestueux. Cette nature brute. La « RN40 ».

La Ruta Nacional 40 en espagnol. Cette route qui traverse l’Argentine du nord au sud, depuis la frontière bolivienne jusqu'à l'extrême sud de la Patagonie. La route la plus longue du pays, s’étendant sur plus de 5’000 kilomètres. Une route mythique qui court parallèlement à la cordillère des Andes, reliant 27 cols andins, partie du bout du monde, au niveau de la mer, et culminant à 4 895 mètres une fois au nord.

RN 40 – El Chaltén, Argentine

 

Plus de 12h que l’on roule. 

Dans ce bus qui roule sans s’arrêter. Derrière les vitres embuées. Le même paysage sans fin, immuable. Ces étendues désolées, parcourues par le vent, tapissées de buissons rustiques. Et ce ciel immense, si proche et infini à la fois. 

La musique dans les oreilles, isolé dans un monde de pensée, regarder les autres, chacun passer le temps à sa manière. Des couples qui dorment, enlacés les uns sur les autres; ceux qui regardent le paysage sans le voir, à travers des vitres où perle notre respiration, coulant le long des vitres. Voir ces corps essayant de bouger; un étirement, un bref changement de position. Ces bras argentins, tatoués. Une tête qui se tourne. Une cinquantaine de personnes, et pourtant pas une parole. Fatigué par la nuit sur la route, et la perspective de celle encore à venir, chacun s’économise. 

On attend, simplement. Un bref regard par la fenêtre montre un paysage inchangé. On regardera à nouveau dans une heure ou deux, au prochain réveil, au prochain sursaut de conscience. On regardera aussi sa montre, pour laisser le bras retomber en éprouvant une courte déception. Le temps ne passe pas. Des gestes alors échangés, simples et directs, de cette solidarité qui se passe de commentaire: un biscuit offert, un chocolat, sans bruit, ou accompagné d’un simple « gracias ». 

Il m’aura fallu un mois pour arriver à trouver l’espace pour écrire. Pour me retrouver d’abord, pour se laisser à nouveau toucher par le monde. Et pour trouver un peu de cette solitude nécessaire aussi. Alors qu’en Europe il faut lutter pour rencontrer du monde, ici c’est l’inverse. Être seul devient un luxe. La vie est trop intense, trop partagée. Ici la solitude n’a pas de place, ou seule celle qui lui appartient vraiment: la solitude réelle, celle de l’homme loin de tout. 

Et là, soudain, au milieu du désert, au détour d’un virage, comme un mirage voir apparaître une ville. Quelques pâtés de maisons, pas grand-chose, mais déjà un peu de civilisation. On va pouvoir se dégourdir les jambes, avec un peu de chance même s’offrir un café. Mais l’arrêt ne compte que le temps refaire le plein d’essence, et d’embarquer un ou l’autre passager. Et déjà la ville de disparaître, retrouver les plaines étendues et sauvages, entrecoupées par quelques lamas et troupeaux de moutons; la Patagonie.

*Automated Teller Machines (ATM) / Guichet automatique bancaire (GAB)

florian

 
 

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Florian

Florian est un photographe et entrepreneur suisse. Aujourd’hui, il vit et travaille à Lausanne, sur les rives du lac Léman, et se consacre désormais à ses différents projets personnels. 

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