El Bolsón.

Mockup - Photographie (El Bolsón, Argentine)

Et le manège recommence. Nous marchons les deux. Régulièrement, il s’arrête, se retourne, vérifie que je monte toujours, m’attend, et repart lorsque je me rapproche trop.

 
 
 

26 Avril 2017

D’une leçon de vie

Partir au petit matin: gants, bâtons, un petit sac avec l’appareil photo, et quelques vivre pour la journée. Une gourde que l’on remplira au fur et à mesure des rivières, une pomme, quelques fruits secs et des amendes. Au fur et à mesure de la montée, les couches - manquante actuellement - laisseront place à la douce chaleur de l’effort. 

Soudain, croiser deux de ces chiens errants, parfois agressifs. Prendre quelques cailloux; on se sait jamais. Ici, une morsure n’aurait pas les mêmes conséquences qu’en Europe. Ces deux là me feront la fête. Quelques minutes plus tard, marchant toujours accompagné de mes deux compagnons, mes doigts s’ouvriront d’eux-mêmes, laissant tomber les pierres au sol. De méfiance, je passe à l’acceptation. Le sentier que j’emprunte actuellement rejoindra la route dans 45 minutes environ; s’ils sont toujours là, il sera alors temps de les chasser. 

Je continue à monter, ils marchent quelques mètres devant. Ils m’attendent lorsque je ralentis. Ils semblent connaître le chemin, s’amusent. Mes deux compagnons m’amusent, mais plus le temps passe, plus cela m’inquiète: ils n’ont clairement pas l’intention de me fausser compagnie. Je vais monter à plus de 2000 mètres d’altitude, dans la caillasse, et je me fais du souci pour eux.

Plus en profondeur, et plus honnêtement, je me soucie de moi. Me laissera-t-on passer avec ces chiens? Que faire s’il arrive quelque chose? Leur présence devient pesante. Ils disparaitront par à coups, parfois des dizaines de minutes, et à mon désespoir, réapparaitront.

Arrivé à la route, je suis résolu à m’en débarrasser. Une attitude menaçante et le plus jeune se décidera à redescendre. Je fais mine alors de lancer quelques pierres au second. À voir, je ne suis pas le premier à agir de la sorte: il avance donc un peu plus, à distance de sécurité, une cinquantaine de mètres devant. Impossible de faire quelque chose désormais; mon compagnon est décidé à m’accompagner que je le veuille ou non. Soit.

Et le manège recommence. Nous marchons les deux. Régulièrement, il s’arrête, se retourne, vérifie que je monte toujours, m’attend, et repart lorsque je me rapproche trop. Il maintiendra cette distance tout au long, alors même que l’idée de m’en débarrasser est désormais superflue. J’espère juste ne pas avoir de problèmes. 

Arrivés au premier refuge, les gens s’amusent de ce chien qu’ils croient être le mien. Ces peurs qu’étaient les miennes se fracassent sur l’amusement des locaux. Oui, ici les choses ne sont pas graves. Je regrette quelque peu mes fonctionnements. Pourtant, mon compagnon semble savoir que je ne m’arrêterais pas là. Il est déjà quelques mètres plus haut, sur le sentier qui monte au sommet: deux heures de marche supplémentaires, après les 10 kilomètres que nous avons déjà parcourus. Je m’inquiète pour lui, sincèrement cette fois-ci, mais je n’ai plus la moindre motivation à me séparer de lui. Il sait ce qu’il fait.

Nous recommençons à monter. Le rythme se fait plus lent pour moi; il ralentira le sien. À tout moment, il gambadera, débusquera quelques oiseaux sauvages, ou simplement se retournera, regardera en arrière et m’attendra, immobile. Devenant à nouveau proches, je me mets à lui sourire, ce qu’il me gratifiera d’un joyeux battement de queue. On dirait qu’il ne me tient pas trop rigueur. La montée continue, le terrain de plus en plus difficile. Il continue de suivre le sentier, je suis certain désormais que ce n’est pas la première fois qu’il fait ça. Il connait le chemin par coeur, et parfois même des raccourcis que je serai heureux d’emprunter à sa suite. 

Le vent se lève, la terre laisse place à la caillasse. Je m’inquiète pour lui, mais il ne ralentit pas le rythme. Il ne faudra pas longtemps avant que nous atteignions la limite de la neige. Toujours devant, c’est lui qui trace ma voie. Je suis préparé, équipé, pourtant je ressens le vent et le froid mordants. Je l’imagine, ses coussinets meurtris par la roche et la neige, mais il continue, mangeant un peu de neige pour étancher sa soif.

Il s’arrêtera d’autant plus souvent que mon rythme est désormais très lent. Et se réjouira en me voyant repartir pour quelques mètres après chacune de mes pauses. La neige est désormais plus épaisse, il s’allongera dedans, et me regardera espiègle, me laissant à nouveau approcher. Je lui jette quelques boules de neige qu’il s’empresse d’attraper. Il nous aura fallu presque 6 heures de marche, et plus de 2200 mètres de dénivelé, mais nous sommes à nouveau copains. Je suis heureux, et regrette mes actes et pensées précédentes. Il ne m’a toujours voulu que du bien, il me montre sa loyauté, sa bonté, alors que j’ai cherché à me débarrasser de lui. J’en suis désolé. À la manière dont nous, occidentaux, pensons toujours d’abord à la méfiance. Je suis désolé. Un chien m’aura fait comprendre mon erreur, et appris peut-être l’une des plus belles leçons de vie.

 
Un chien m’aura fait comprendre mon erreur, et appris peut-être l’une des plus belles leçons de vie.
 
 

Nous repartons. Je ne pourrais m’empêcher de pleurer en continuant de montrer, « Ella » - je la prénomme ainsi - à mes côtés. Les derniers mètres, à la manière de ces vieux séniles, je me mettrais à lui parler. De fait, ce sera surtout un monologue, entrecoupé de quelques battements de queue; jamais, tout au long, il n’aura aboyé.

Le sommet est proche, encore une vingtaine de minutes. Le vent est fort, le froid intense, le rythme lent. Je me concentre, Ella toujours devant. Un condor magnifique, immense, nous survolera alors durant quelques minutes, cerclant à peine à une dizaine de mètres au-dessus de nous. Je distingue très clairement sa tête et son col blanc. Et m'inquiète. Pour le chien d’abord, puis pour moi. De ces trois mètres d'envergure, s’il m’attaque, il me fera tomber sans difficulté. Il n’en sera rien, et quelques instants plus tard, je verrais la tête de mon compagnon me regarder, assis devant moi, déjà au sommet. Nous y sommes. Là, seuls au monde, dans le vent et le froid, au sommet, seuls, admirant tous deux la vue. Moment intense, incroyable.

Ella se mettra à la place qu’elle a l’habitude de prendre, et me fera alors la fête! J’essaie de retenir ses ardeurs; nous avons peu d’espace, et la perspective - bien qu’originale - de mourir en montagne poussé par un chien ne me tente que moyennement.

Ella / Cerro Piltriquitrón – El Bolsón, Argentine

Ella / Cerro Piltriquitrón – El Bolsón, Argentine

 

Après quelques minutes, le temps violent nous pousse à redescendre. Comme deux gamins, nous courrons alors dans la neige, avant de reprendre notre rythme, comme auparavant.

Au fur et à mesure de la descente, les larmes aux yeux, je sentirai ma gorge se nouer de plus en plus à la perspective de devoir se séparer. J’espère juste qu’elle ne m'obligera pas â être violent.

Trois heures plus tard, nous arriverons au pied de la montagne, et aussi soudainement qu’il était apparu, mon compagnon disparaitra, ne me laissant que la frustration de ne pas avoir pu lui faire une dernière fois « la fête » qu’il mérite…

florian

 
 

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Florian

Florian est un photographe et entrepreneur suisse. Aujourd’hui, il vit et travaille à Lausanne, sur les rives du lac Léman, et se consacre désormais à ses différents projets personnels. 

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