Bariloche

Mockup - photographie (Bariloche, Argentine)

Le sentier se fera alors déjà plus difficile, et j’activerai le pas. Arrivé en haut à 16h, je profite de la vue et m’apprête à redescendre. Je suis haut, et il est tard.

 
 
 

28 Avril 2017

D'une leçon d'humilité.

Aujourd’hui, randonnée simple.

Je passerai une partie de la matinée à visiter le centre-ville; quelques minutes suffiront. Puis je prends le bus pour les alentours magnifiques de Bariloche. Le soleil brille, cela fait du bien. Je comprends comment cette petite ville touristique doit être en pleine saison; l’été ou l’hiver.

Un peu par hasard, je tomberai sur une colonie suisse! Je décide d’aller y faire un tour: mini village touristique, riche, fondé par des Valaisans. Village isolé, on me prendra en stop pour m’y emmener. Après une gaufre à « Colonia Suiza », je m’apprête à monter au refuge Lopéz, un trek simple de 3h. Après ma journée d’hier, et sans matériel, je souhaite juste monter au refuge, puis redescendre, éventuellement par une boucle à un deuxième refuge. Arrivé au premier refuge en moins de 2h, en forme, et le soleil toujours haut, je décide de pousser jusqu’au deuxième, à 1h de plus. Le sentier se fera alors déjà plus difficile, et j’activerai le pas. Arrivé en haut à 16h, je profite de la vue et m’apprête à redescendre. Je suis haut, et il est tard. Néanmoins, j’ai encore le temps et aucune difficulté ne s’est fait sentir jusque là. La carte sur mon téléphone m’indique une autre boucle pour redescendre; non indiquée sur la carte du parc. Plutôt que de redescendre sur mes pas, je décide de prendre cette voie. Je n'aurais pas dû.

Cerro López – San Carlos de Bariloche, Argentine

 

Je longe la crête sur la caillasse, mais me retrouve très vite sans indication. Mes chaussures neuves s'écorchent. Les sentiers en Amérique du Sud n’ont jamais été très sécurisés, mais là je suis surpris de la difficulté. Après presque une heure de marche, ne sachant si la carte est juste, et n'étant toujours pas redescendu, la lumière baissant, je décide de couper court, afin de rejoindre le niveau de la végétation, 200 mètres plus bas. Alors, même au crépuscule, il me sera possible de continuer à avancer plus facilement. Le terrain est vraiment dangereux, à pic, glissant, avec des façades rocailleuses à escalader. 

Plus bas, les arbres feront place à des parois rocheuses, se terminant en récifs dans le lac. Il me sera impossible de rejoindre le bas par cette voie. Je décide alors de tirer à flanc de montagne, et tenter de rejoindre le « chemin » indiqué sur ma carte. Mais le flanc de montagne est coupé de rivières et de plaques rocheuses glissantes impossibles à traverser. Il me faut les contourner par le haut ou le bas, perdant beaucoup de temps. La fatigue et l’inquiétude se mêlant, mes décisions ne seront désormais plus les plus judicieuses. J’essaie d'avancer vite, au lieu de réfléchir calmement. À l’est, le paysage se découvre de la même manière que précédemment: des parois rocheuses impossibles à contourner, c’est une autre voie sans issue. Je décide alors de remonter au niveau de la caillasse, afin de rejoindre le sentier qui passe plus haut. Trente minutes plus tard, trempé de sueur et dans la lumière décroissante du crépuscule, je me retrouve à nouveau coincé par un contrefort immense. Pourtant, je peux presque percevoir le replat sur lequel passe le sentier, presque accessible. Je ne pourrais m’empêcher d'éprouver frustration et exaspération. 

Dans un sursaut de fierté et d’inconscience, je tente d’escalader dans l’obscurité cette paroi rocheuse. L’accès au « sentier » n’est qu’à cinquante mètres, et la paroi semble accessible. Après un peu plus de cinq mètres d’escalade, la raison reprendra le dessus; je me résous à redescendre et à trouver un abri avec la faible luminosité persistante. 

« Le cœur battant, résigné, j’aurais compris la leçon. »

Quelques minutes plus tard, je trouve un petit bosquet, trois arbres et un peu de mousse, suffisant pour m’éviter de glisser si je venais à m’endormir, et me protéger quelque peu du vent. Je m’installe tant bien que mal. Poussé par ma fierté, je me dis que je peux essayer encore une fois de rejoindre la « route » en longeant le flanc de montagne; après tout, le crépuscule persiste, je dois avoir encore une heure de faible luminosité devant moi; je pourrais peut-être encore y arriver. Trois mètres plus tard, le sol s’effacera sous mes pas, me laissant glisser sur quelques mètres. Je me rattraperai aux racines de mon bosquet, et écouterai les cailloux - sous mes pieds quelques instants auparavant - tomber durant plus de trente secondes. Le cœur battant, résigné, j’aurais compris la leçon. Ces secondes auraient pu être mes dernières. Et mon orgueil définitivement vaincu, je me réinstalle cette fois-ci définitivement au milieu de mes trois arbustes. 

Contre toute attente, je n’ai pas peur. Je n’ai plus d’autres options; je suis désormais résigné à passer la nuit ici. Il est désormais temps d’être efficace et de se préparer. Je sais quoi faire, l’important étant de passer la nuit le mieux possible; demain, au lever du jour, j’évaluerai ma situation et le moyen de reprendre le chemin. Il fait encore chaud, mais la nuit sera froide. Je suis trempé par l’effort, ce qui ne va pas aider. Je profite de la chaleur encore ambiante pour me déshabiller, aérer quelque peu mes habits, enlever la boue et les brindilles. Je n’ai rien mangé depuis midi, il est 21h00. Je vais avoir besoin de calories pour la nuit, de même que pour la journée de demain. Je mange donc ce qui me reste, ne gardant qu’un peu de chocolat et d’eau pour le lendemain matin. Quelques sucres rapides et réconfortants qui seront sans doute les bienvenus demain matin. Je vérifie une dernière fois mon téléphone: aucun signal, la batterie à 18%. Je me résous à l’éteindre complètement; le peu de batterie restante sera primordial pour la journée de demain, pour me guider une fois ce satané sentier retrouvé. Je monte également le flash de mon appareil photo, et vérifie qu’il fonctionne. Si des secours me cherchent, je pourrais alors leur signaler ma position.

Je me prépare alors à affronter la nuit. J’opte pour une position assise, en fœtus, les jambes au plus près de mon corps, le sac en bandoulière pour ne pas le perdre dans mon sommeil, et posé sur mes cuisses. Je peux même poser ma tête dessus, ce qui n’est pas désagréable. Je passerai les bras sur les côtés, tenant mes jambes à hauteur de mes chevilles. J’optimise au maximum mes vêtements pour la nuit: capuchons, gants, col. Je glisse ma veste à hauteur de mon nez, soufflant à l’intérieur; évitant ainsi de perdre la chaleur de ma respiration. Je descends la visière de ma veste, ne laissant qu’une faible partie de mon visage exposée. Je passerai alors quelques longues minutes à patiemment défaire les ourlets de mon pantalon, dans le noir, afin de laisser descendre ceux-ci plus bas sur mes chaussures. L’opération me prendra sans doute une petite heure; déjà ceci de gagné sur la nuit. 

 
« Je ne peux rien faire; à peine bouger, et dormir semble compromis également. La nuit sera longue, j’en suis certain. »
 
 

Je ne peux rien faire; à peine bouger, et dormir semble compromis également. La nuit sera longue, j’en suis certain. Je n’ai pas peur, car je sais ce que je dois faire. Demain, les choses seront réglées. Je dois juste patienter cette nuit. Endurer cette nuit. Ce que je redoute, ce sont la pluie et les secours. J’espère qu’ils ne seront pas trop inquiets, et qu’ils ne partiront pas non plus ma recherche. Ne reste alors plus qu’à attendre. 

Les premières parties de mon corps à souffrir seront les pieds. Trempés, ceux-ci seront vite froids. Plus tard, la morsure du froid fera place à une douleur régulière. Non plus une souffrance, mais comme une indication d’inconfort, ou de danger. Régulièrement, je tente de bouger mes orteils afin de vérifier que tout va bien. Il me faut parfois quelques secondes avant d’y arriver. Pour ce qui est des cuisses, les choses sont plus faciles: je me masse vigoureusement avec les bras, ce qui a pour effet de distribuer une chaleur réconfortante. Je profite également de me masser les jambes régulièrement. Je vais en avoir fortement besoin demain, et la nuit que je passe les remplit de courbatures. De plus, c’est toujours quelques minutes de gagnées. Le haut du corps ne pose pas de problème, je suis bien habillé. Je perds la notion du temps, mais je me force à ne pas vérifier l’heure qu’il est. Je sais que cela aura pour effet de me faire paraitre le temps plus long encore. Le plus tard je regarderai l’heure qu'il est, le plus vite passera cette nuit. Je me mets à compter les secondes, ou mes respirations, comme une forme de méditation. Respirant dans ma veste, celle si se fera de plus en plus rapide, avant que je la calme en prenant quelques grandes inspirations à l’extérieur, puis recommencer. Las, je varierai parfois avec quelques jeux de têtes, calculs mentaux… 

« Ce long cycle, rythme, continue. Encore. Et encore. »

Je me perds dans un état étrange, entre somnolence et réalité. Je rêve, tout en sachant mon esprit conscient et toujours en prise sur la réalité. On dirait que seule la moitié de mon cerveau dort. J’essaierai de m’allonger quelque peu pour dormir, mais le froid du sol et les crispations me réveilleront très vite. Je ne sais combien de temps j’ai fermé l’œil, mais je sais que ce n’était pas suffisant pour avancer dans la nuit. 

Ce long cycle, rythme, continue. Encore. Et encore. 

Plus tard, je sens que nous avançons dans la nuit: la température a baissé. Elle sera au plus froid juste avant l’aube, c’est donc encourageant. Mais je ne parviens plus à me réchauffer. Les massages n’apportent plus de chaleur, et le haut du corps également montre des signes de refroidissement. Je me résous enfin à regarder l’heure: si nous sommes près de l’aube, il ne faudra que serrer les dents quelques minutes de plus. Si l’heure n’est guère avancée, il faudra changer de stratégie, il est évident que je ne pourrai passer encore de longues heures à ce rythme-là; 3h25. Je ne peux m’empêcher de ressentir un peu de déception, j’imaginais avoir passé une heure de plus. 

Je me lève, me masse le corps, m’étire, ajuste mes vêtements, m’assouplis. Bref, de quoi passer le temps jusqu’à 4h, et alléger ce corps que je meurtris. L’aube devrait se faire sentir vers 6h, réchauffant gentiment l’atmosphère et mon moral. Cela me laisse deux heures à attendre, c’est jouable. À nouveau, j’optimise chaque centimètre de ma position, mon habillement, et plonge dans une forme de latence. Désormais, impatient, le temps sera d’autant plus long. Chaque minute s’éternise. D’autant plus long que mon versant ne sera réellement éclairé qu’à 7h45. Cette dernière heure sera la plus longue de toutes. Fatigué, las, résolu à reprendre la route, je n’ai plus de patience. J’ai enduré cette nuit, je n’ai plus rien à prouver, et je veux reprendre la route. Afin de pallier à ma frustration, je mange le chocolat restant, et la moitié de l’eau qu’il me reste, ajuste mes habits, et échauffe mes muscles endoloris. Un bref point de situation me confirme ce que je redoutais hier; à trop avoir descendu, j’ai passé sous un contrefort qui s’étend loin vers l’est. Impossible donc de le contourner, et je dois revenir sur mes pas. À flanc de colline, à la lumière du jour et l’esprit reposé et calme, il me faudra moins de 45 minutes pour rejoindre la carte, sans trop de difficultés. Mais le sentier se montrera ensuite des plus difficile, avec des parois abruptes de 4 à 5 mètres, sans prises et assurances. Sans quelques kerns pour m’indiquer le chemin, jamais je n’aurais envisagé de passer des de tels endroits. Même en plein jour je ne comprends pas comment un tel chemin est envisageable. Il est des plus difficile, dangereux, et clairement impossible pour toute personne avec un sac un peu chargé ou sans un physique efficace.

Je n’ai alors plus aucun regret pour ma nuit, jamais je n’aurais pu descendre un tel chemin à la nuit tombée. Il me faudra plus de 2h30 pour parcourir les deux kilomètres restants, et enfin rejoindre la civilisation. 

 
 

30 Avril 2017

Le lendemain, prendre la fameuse route des sept lacs.
La météo est splendide pour la saison: pas de vent, un soleil parfait, et un ciel bleu! Depuis le début de mon voyage, j’ai une chance incroyable avec la météo.

Route des sept lacs – San Carlos de Bariloche, Argentine

 

Rouler en minibus le long de ces paysages, s’arrêter à chaque lac, et voir ces eaux immobiles être de parfaits miroirs! Si le paysage m’est quelque peu familier, Bariloche étant la « petite Suisse » de l’Argentine, je n’en reste pas moins émerveillé! Une journée bienvenue après la mésaventure de la veille…

florian

 
 

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Florian

Florian est un photographe et entrepreneur suisse. Aujourd’hui, il vit et travaille à Lausanne, sur les rives du lac Léman, et se consacre désormais à ses différents projets personnels. 

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